Parfumé de vendanges et de sous-bois, de petits matins brumeux, de fumets de gibier et d'odeurs de champignons, l'automne nous arrive, les mains pleines. Et de tous ces dons, la cuisine tourangelle sait faire quantité de choses simples et savoureuses, mariant avec bonheur traditions et goûts du jour.
'Le commencement de l'automne est si beau en Touraine', écrit Balzac dans la Grenadière. C'est vrai qu'elle a, chez nous, des charmes particuliers, cette longue arrière-saison, où l'air sent l'écale de noix, la fumée des feux de fanes, les fermentations délicates, où la vigne prend sa rousse toison des vendanges. Bel automne, mais aussi savoureux automne pour le régal des gourmands et des gourmets: 'Voici la saison où l'on peut commencer à "traiter" ses amis. Volailles et gibiers atteignent l'apogée de leur gloire. Les poulets de grain sont gras comme moines; le lièvre et le dindon atteignent l'âge viril. La pomme vient sous mille travestissements enjoliver les entremets', écrivait, dans Vieux pots, saulces et rost mémorables, le subtil gastronome tourangeau Charles Gay. Et il avait cent fois raison: l'automne en Touraine, avec ses lumières adoucies et ses beaux produits de saison, se prête à la célébration du bien manger, du bien boire, et, surtout, de l'amitié.
Sous le signe des vendanges:
'En cestuy temps qui fut la saison des vendanges, au commencement de l'automne...' Comme dans Gargantua, ce temps des vendanges dans nos vignobles est temps de labeur mais aussi de liesse et de plaisir. Il y a dans l'air comme un avant-goût de vin et de griserie légère, et l'on se ferait bien un casse-croûte de vendangeurs, inspiré de Rabelais évidemment: 'Car c'est un régal céleste, sachez-le, que de manger au déjeuner des raisins et de la fouace fraîche...' Venues de la nuit des temps et immortalisées par Rabelais, les fouaces font parties des 'fondamentaux' de notre folklore culinaire. Ces fines galettes de pâte à pain enrichie de beurre, vite cuites en fin de fournée (autrefois sous la cendre, comme l'indique l'étymologie), mangées tièdes sur le pouce avec un chèvre fermier, une grappe de raisin juste cueillie et un verre de chenin, vous entraînent dans un véritable engrenage de délices: on se ressert, on se lèche les doigts, jusqu'à la dernière miette, jusqu'à la dernière goutte. Avec des rillettes et un verre de Vouvray, c'est succulent aussi. Les fouaces et les fouées se font en version sucrée, avec miel, noix, quelques gouttes de fleur d'oranger, un soupçon de safran: chaque boulanger a son petit secret qu'il garde jalousement. Donc, aux quatre coins de chez nous, se font les vendanges qui 'sont en Touraine de véritables fêtes,(...) comme le joyeux dessert du festin récolté' (Le Lys dans la vallée évidemment !). Et les vendanges vont avec la bernache - joli mot du vieux parler tourangeau - ce vin bourru, trouble encore très doux et légèrement pétillant. Cette boisson de peu de degrés, passagère et pas sérieuse, est surtout l'occasion de faire la fête dans nos villages viticoles comme Reugny, Vallères, Chançay, Cangey, Vernou-sur-Brenne, Noizay, Rochecorbon, Parçay-Meslay, Vouvray, bien sûr, où officie la très docte Confrérie des Goûteux de Bernache Vouvrillons. La bernache est inséparable des premières châtaignes, que l'on va ramasser en se piquant les doigts aux bogues rousses, et que l'on mange chaudes, recouvertes de bernache et sucrées au goût. C'est un régal bien de saison, rustique et vieux comme tout. Pour rester dans l'esprit de ces joyeux repas de fin de vendanges qu'on appelle beurlots en Touraine, préparez donc, selon la coutume, un copieux civet de lapin aux pruneaux ou un coq au vin de chinon ou de Bourgueil, longuement mitonné et champignons. Et pour le dessert?. Suivez le dicton: 'À la Bonne Dame de Septembre (le 8), tout fruit est bon à prendre' et ramassez les fruits mûrs du verger, pommes, poires, pêches de vignes, raisins, noix fraîches, que vous ferez cuire en une délicieuse compote vigneronne, dans du cabernet franc dit breton, bien réduit avec du sucre roux et un rien d'épices.
Champignons sauvages et bien élevés
Loches, Amboise, Chinon, Les vastes forêts domaniales sont le paradis des cueilleurs de champignons, qui vous diront qu'il n'y a pas de plus grande joie automnale que de rapporter un plein panier de cèpes, girolles, rosés des prés, oronges des Césars, trompettes-de-la-mort, coulemelles, minuscules marasmes des Oréades, et autres champignons sauvages, de la cueillette à la casserole, requièrent un savoir délicat, je vous recommande le Tour de France d'un chasseur de champignons sauvages, du Tourangeau Jean-Jack Martin (photo à droite), confident et compagnon des champignons de son terroir, qu'il accommode toujours d'un grain de malice et d'une bonne bouteille de derrière les fagts.
Côté cuisine, quelques champignons sauvages de haut goût font merveille dans un civet de chevreuil au chinon, une matelote d'anguilles au bourgueil, un sandre braisé au noble-joué. Mais si l'on n'a pas les talents d'un bon cueilleur de champignons sauvages, on se régalera de ces champignons de couche frais du jour dont la Touraine s'est fait une spécialité. Dès la fin du XIX éme siècle, le champignon dit de Paris, petit frère domestiqué de l'agaric ou rosé des prés, s'est installé dans les anciennes carrières de tuffeau, y trouvant des conditions de cultures idéales. Cette production originale et de qualité s'est développée dans le Lochois, le pays de Saint-Paterne-Racan, vers le Chinonais et le Bourgueillois, sans oublier l'immense cave des Roches à Bourré, dont la visite pleine d'enseignements lève un coin du voile sur le grand mystère des champignons. On y cultive aussi les pleurotes qui, sautés au beurre, escortent glorieusement la géline de Touraine, les shii-takés fins et parfumés, les pieds bleus qui vont bien avec le gibier. Bref de quoi combler tous les voeux des amateurs de saveurs de sous-bois et de fricasées odorantes relevées d'herbes fines.
Le noyer fait partie de notre patrimoine, depuis le haut Moyen-Âge, dans le Chinonais et le Richelais en particulier.
'Les innombrables noyers qui couvrent les terres hautes de l'arrondissement de Chinon produisent annuellement plus de 300 000 décalitres de noix. L'huile de noix est la seule employée par une grande partie de la population départementale' écrivait Adolphe Joanne en 1870 dans sa Géographie de l'Indre et Loire. Même s'ils ne sont plus aujourd'hui les arbres-rois de nos paysages, ils sont encore nombreux à offrir de belles récoltes dès la fin de septembre.
Avec les noix toutes fraîches, tendres et laiteuses, on préparait les cerneaux au verjus: pelés, mises à macérer dans un saladier avec gros sel, poivre du moulin, fines herbes ciselées et recouvertes de verjus. Essayez à l'apéritif avec des tartines de rillettes ou sur une salade aux rillons tièdes.
Une cassolette de petits-gris aux noix et au vouvray, une farce aux noix et au chèvre frais bourrée dans le ventre de truites cuites au chenin, un faisan aux pruneaux et aux noix, un filet de porc (Roi rose de Touraine, sans hésiter) aux raisins et aux cerneaux mouillé à la bernache: tout cela mettra l'automne tourangeau dans votre assiette.
Mais le plus beau, c'est l'huile de noix, qui fait un assaisonnement de choix. Autrefois, les pressoirs à huile étaient très nombreux dans notre région. On peut voir au Musée troglodytique des arts et Traditions populaires de Chinon deux énormes pressoirs en orme massif. Et à Villaines-les-Rochers, un groupe d'amoureux du terroir a remis en service un ancien pressoir à main. Mais si l'on dispose de sa propre récolte même modeste, on l'apporte chez François Deballon-Bonnet, à Amboise, qui maintient courageusement une tradition vieille de plusieurs siècles, perpétuant un savoir-faire qui ne doit pas tomber dans l'oubli. Une antique meule de pierre écrase les cerneaux, puis un vieux pressoir extrait, de la pâte chauffée au charbon, une huile claire, délicatement odorante. Et quelques gouttes de cette huile sur un croûton de sainte-maure ou sur une salade tiède de "grenons" (haricots blancs) de nos varennes, croyez-moi, c'est à 's'en lécher les cinq doigts et le pouce'.
Sous la protection de Saint-Martin
Le 11 novembre, jour de la Saint-Martin, saint patron de la Touraine, était autrefois l'une des dates les plus importantes de l'année, où se tenaient de grandes foires. Dans le calendrier viticole, c'est toujours un temps fort: dans les caves tourangelles, les vignerons goûtent le vin nouveau, dont les premières fermentations sont terminées. On hume lentement, on mâche en bouche, on discute en connaisseurs, bref on "martine" le vin de la dernière vendange. Et cette tradition de la "martinée", accompagnée de châtaignes grillées, est encore bien vivace dans nos terroirs.
Autre coutume de ce jour faste: manger l'oie de la Saint-Martin. Et pourquoi une oie ?. Parce que, raconte la légende, Martin, qui refusait les honneurs et tenait à sa vie d'ermite, se cachait dans les grottes du côteau de Marmoutier. Un jour que les habitants de Tours venaient le chercher pour en faire leur évèque, ce sont les oies qui, cancanant sur le seuil de la grotte, trahirent la présence du saint. Depuis, on garde la plus belle oie du troupeau pour la manger à la Saint-Martin.
Balzac l'appréciait tout classiquement farcie aux marrons. Mais les fermières de Touraine la font braiser au four pendant cinq heures, avec beaucoup d'oignons en capilotade; on ajoute un petit verre d'eau-de-vie de pays à la sauce et on mange "à la cuillère".
Enfin n'oublier pas que l'été de la Saint-Martin correspond à une brève période de chaleur et de lumière dorée, essentielle pour la maturation des raisins de Vouvray et de Montlouis et la production de grands vins chenin moelleux et liquoreux. Preuve que saint Martin veille toujours sur les vignes tourangelles.