Dans notre vieux parler de Touraine, il est une expression bien local et vraiment charmente: lorsque les vieux ceps tortus commencent à sentir, après la taille, les premiers rayons vivifiants du soleil, "la vigne pleure", dit-on. Elle laisse couler le long de ses blessures nécessaires, faites par l'antique serpe a narron, la sève qui monte de ses racines pour s'épandre le long de ses branches accolées.
La vigne pleure, oui vraiment, elle est en larmes, il semble qu"elle va tout donner de sa vigueur, de sa vie... Non point, car cette larmoyante fait présumer déjà une autre existence en elle-même et pour nous. Martyrisée, liée en quelque sorte, la vigne est une captive qui ornera de pampres ses liens d'osier et dont le fils, le vin, chantera une joyeuse chanson dès le berceau, avant de s'enclore dans les amphores de verre qui enchâssent les pertes de la rosée et de la gloire des soleils couchants...
Ma voix est bien faible, bien menue et sans autorité pour vous parler aujourd'hui de ces vins de Touraine réputés depuis des siècles et dont certains sont, à travers le monde, nos meilleurs ambassadeurs... Partout, en effet, nos vins disent notre gaité, notre clarté et le charme de la France, et la grâce nonchalante et l'esprit de finesse des rives du grand fleuve qui, aux beaux soirs d'automne, semblent mirer plus de vinées qu'il n'a d'eaux fuyantes.
La Touraine, beauté des paysages, douceur des collines et des vallées, est bien le pays des vins doucieux comme son ciel et sa terre privilégiée, et c'est au Vouvray, au "Breton" que tu dois aussi. Touraine, cette renommée qui va des forêts scandinaves aux lointaines Amériques. Aussi, évoquons un peu la légende et l'histoire de ces vins qui ont fait la richesse de nos pères et qui restent à jamais notre gloire régionales; parlons un peu de cette purée septembrale chère à Rabelais.
Or, des médecins, dont beaucoup sans envergure, ont mal dit du vin. Ceux-là n'ont jamais bu que du Bercy ou du "gros nouèrre", et ce sont sans doute des gens sans palais et sans estomac. D'autres, au contraire, ont vanté les bienfaits de nos vins et certains même les préconisent contre des maux nombreux en notre siècle, contre l'alcoolisme provenant des tisanes chimiques et des cocktails, et aussi contre la neurasthénie, car le vin de Touraine sait dissiper toute humeur mélancolique.
Du reste, pourquoi ne point instaurer sérieusement l'apéritif au vin de Touraine ?.
Or, quand vous entrez parfois dans un grand café et que vous demandez un verre de vin du pays, le garçon sourit, lève les épaules, et les consommateurs qui s'intoxiquent à heure fixe avec des boissons aux noms sonores vous regardent de travers. Vous êtes un original, ou bien un ignorant des rites horaires, et l'on vous sert un vin quelconque, le Tourangeau se souvient des vignes de son village. Il revoit le "cotiau" et les "rigées" qui dévalent et, en un rêve demi voilé par la souvenance, telle une buée transparante sur la Loire en automne, les scènes joyeuses des vendanges d'antan réapparaissent à son esprit...
De tous les champêtres travaux, de la vieille antiquité "repérée" jusqu'à notre époque contemporaine, le plus charmant, le plus chanté, n'est-ce pas la vendange ?
Nous le savons, le geste auguste du semeur est renommé; il est à jamais fixé par l'image et par la sculture. C'est le grand geste humain des semailles vitales, celui qui, par la terre entr'ouverte, jette au vent du destin aveugle les germes de l'avenir...
Mais, à côté de ce messidor escompté par tant d'êtres qui attendront leur pain quotidien issu de la petite graine "farinière", il y a vendémiaire, Et ce vendéniaire est plein de chansons, de rires, de danses, de banquets joyeux. Alors, Bacchus a succédé à Cérés. C'est la liqueur mirifique qui va naître au berceau des pressoirs, c'est un "Evihé" qui va retenir sous les tonnelles aux pampres épais ou parmi les cépées lourdes de grappes mûres.
Et, si "le moment est de boire et de repousser le sol d'un pied léger", suivant l'expression du grand poète latin, Horace, c'est l'heure aussi de cueillir le raisin, l'instant des vendanges.
Dans l'antiquité la plus vieille dont nous avons quelques données, pour certains, croyons-nous, bien avant les grappes de Chanaan et les noces de Cana, le raisin était déjà le symbole de la vie, du sang qu'allaient, en libations, verser dans les cratères ou dans les coupes, les idolàtres des temps lointains...
Et si Booz et Ruth rappellent la moisson, nous devons aux livres anciens rechercher aussi et retrouver le thème déicieux des vendanges.
Du vieux grec Longus, au livre second de Daphnis etChloé, le vigneron tourangeau, Paul-Louis Courier, a traduit, en effet, ces quelques lignes: "... étant jà l'automne en sa force et le temps des vendanges venu, les uns vérifiaient les pressoirs, les autres nettoyaient les jarres, ceux-ci émeulaient les serpettes, aucun mettait à point la meule à pressurer". Et dans ce cadre de la Grèce antique passait un choeur de Bacchantes...
Les vendanges ont donné lieu à de curieuse coutumes dans le passé. L'esprit local s'y livrait à des moqueries peu acerbes ou à des combinaisons: mariages, achats ou ventes, et le rire s'alliait alors au langage du pays dans des expressions vieilles comme les ceps du vignoble et savoureuses tel le vin du terroir. On sentait dans ces vignerons, réunis au soir des vendanges, monter, comme dans les vignes de vieux bois, une sève unique, une sève rafraichie dans le vin, ce sang des vignes.
Vin de France, vin gaulois, aux soirs de vendanges de l'EST, de l'Ouest, du centre ou du Midi, tu mets dans l'oeil de nos vieillards, aux cerveaux de nos hommes graves, aux regards joyeux de nos fils et dans les prunelles des femmes quelques chose de profond et de gai. C'est par toi que l'âme d'un pays se répand et qu'un rire bien français fuse encore dans les gobelets et dans les verres, vin de France !
Si le vin partout est renommé, chanté et bu, lait des vieillards et nectar des jeunes, les vendanges, en France, ne se font point de manière uniforme.
Ainsi, chez les gens du pays d'Arbois (Jura), on fait une fête spéciale pendant les vendanges. C'est le "Biou". L'origine en est vieille. "Le Biou" est un énorme "trophée de raisins" formant une sorte de grappe gigantesque de plus d'un mètre de hauteur et de plus de deux mètres de diamètre. Son poids est parfois de 80 kilos.
Le "Biou" répétant un rite très ancien, antérieur au christianisme, est, à titre d'offrande, pendu dans l'église Saint-Just, à Arbois (Jura).
Du reste, les "moussines" ou mousselines dont notre grand Rabelais a parlé et qui sont faites de "verges bien raisinières et de bel aspect et pendillées" aux maitresse poutres des logis paysans, "mousselines" à conserver, sont, suivant le folklore de la Touraine, le vestige ignoré, bien entendu, des prémices des vendanges offertes, jadis, aux temples des dieux. François Rabelais, en son oeuvre géniale, nous dit aussi que les gens de Grand-goussier gardaient les vignes contre la voracité des étourneaux au moment de la guerre contre Picrochole. Il y avait, en effet, au moyen âge, des gens qui veillaient sur la récolte des "vignes du seigneur", de même qu'il y eût, à la Révolution, des "gardes messiés" pour empêcher le rapt des gerbes et pour envoyer, "avec gaulaies, mauvais oisiaux, rapaces et glaneux".
En nos vieilles coutumes française, nous retrouvons, dans cet ordre d'idées, deux particularités principales: l'une est le "ban des vendanges", pratiqué principalement en Bourgogne et très sévèrement pratiqué, notamment à Vouvray. A Dijon, Nuits et Beaune, on proclamait solennellement ouvert le temps des vendanges et, dans cette région et à cette occasion, les chartreux avaient droit à une "collation".
En Touraine, "l'albot" (prononcez l'albotte), "le droit d'alboter", c'est-à-dire de "glaner" librement dans les vignes tout raisin demeuré "bon, fourni ou grapillard", oublié ou délaissé, était ordonné aprés les "vespres" du premier dimanche d'octobre généraement, dans certains cantons et plus tardivement même dans quelques autres. L'albottage était réglementé particulièrement à Vouvray...
Aller en vendange, faire la vendange, quelles expressions de joie, de bien-ètre, de gaieté et de bonne chère promise !.
Mais autrefois, c'est-à-dire au temps qui précédé le cataclysme mondial (1914-1918), les vendanges étaient attendues, demandées et en quelques sorte indiquées dans la vie laborieuse des paysans de France comme des jours heureux, pleins de libre abandon dans la splendeur radieuse des soirées automnales. Aujourd'hui, les "travaux de la terre" en s'industrialisant se dépoétisent.
Au Midi, les étrangers tombent comme nuée de pinsons à l'aide des vignerons. A l'Ouest et à l'Est, la main-d'oeuvre locale se raréfie, cette sorte d'entente qui faisait qu'à "l'attablée" des vendanges, au "berlotte" ou au repas de fin des travaux, tout le monde du "village" venait y lamper des piots et y chanter sa chanson, même sans être invité !...
La vigne a toujours joui d'un grand respect. Depuis l'antiquité la plus vieille qui nous soit connue, c'est un symbole: celui de la vie .
Le Christ n'a-t-il pas dit, suivant saint Jean: "je suis la vraie vigne et mon père est le vigneron".
La vigne eût aussi tous les honneurs puisque, après qu'elle fût chantée à toutes les époques par les poètes les plus en renom, elle eût aussi le salut des armes.
Stendhal ne conte-t-il pas que le clos Vougeot fut militairement salué par le colonel Bsson, sous la première République, alors qu'il conduisait son régiment à la garde du Rhin ?.
Les vendanges, en France, si elles ont le même but et en quelque sorte le même rite ancestral, se manifestent cependant régionalement par quelques "geste" différents. A peu près, la culture du "bois tordu" se fait presque partout la même, mais pour recueillir les grappes, la façon et l'outil parfois différent.
En Gironde, on se sert de "bastes" ou paniers en bois. La Champagne et la Bourgogne ont de petits paniers d'osier, dits "vendangerots". On les vide dans des "benatons" ou grands paniers qui, eux-mêmes, sont versés dans des sortes de cuves placées sur des voitures, cuves que l'on conduit aux "vendangeoirs" où sont les pressoirs, les grandes cuves et les tonneaux.
En Poitou, Touraine et Saintonge, il n'y a pas tant de cérémonie.
Dans ces pays, pour transporter la vendange, on se sert de hottes d'osier ou de petites hottes plus hautes et de moindre contenance, comme les "buttettes" des bords tourangeaux de la Loire, dont il est question dans le plus curieux des romans évoquant les vignerons de Touraine et fixant une époque: Mélie Buttellière, par Robert Morin. Les Bourguignons emploient aussi les "bennes", sorte de cuvier avec deux poignées trouées où passe un longbois, ce qui permet de porter à deux une grande "bassée", telle que le sculteur mâconnais Morlon a su en représenter une, remplie de raisin...
Il est vrai qu'aujourd'hui ce qu'on pourrait appeler le "matériel agricole régional" est en voie de transformation, mais la vendange restera à jamais une fête pour les vignerons. Parmi eux, certains iront encore longtemps offrir à saint Vincent (1) l'ex-voto d'une serpette ou d'une belle grappe artificielle, et toujours, tant qu'il y aura des vignes, aux soirs des vendanges, filles et garçons chanterons et danseront, cependant que les vieux se remémorantle passé, répéteront tout bas: "heureux le temps des vendanges. Vendanges sont faites !."
Mais, tout en faisant les vendanges, on est en droit de se demander d'où viennent nos vignes tourangelles, qui les a plantées, et depuis quand poussent-elles sur nos sols régionaux ?.
D'où vient notre vigne ?
Deux Tourangeaux, amis des vignes, Chauvigné et Vavasseurs, ont donné sur cette question tous les détails que l'on peut trouver sur l'origine de la vigne en Touraine. Toutefois, à côté de l'histoire écrite, recueillie par les érudits, dans des chartes authentiques ou dans des mémoires recopiés, il y a la légendre qui vient comme une charmante vendangeuse dans la vigne d'autrefois, vous présenter, sortis de son panier d'osier fin, de son "buttette", les raisins délicieux mûris au soleil du passé.
Oh ! direz-vous, vous allez nous faire boire l'ambroisie en quelque vin de lune !.
Vous savez ce qu'est le vin de lune !.
C'est celui que fait quelque maraudeur qui, n'ayant pas un pouce de terrain planté en vigne, met dans sa cave, comme venant de ses raisins, plusieurs poinçons bien remplis, résultat de l'albotte, alors que l'albottage n'est plus autorisé par la coutume locale dans les vignes non vendangées par les voisins.
Eh bien ! oui, je suis un peu un "faiseu d'vin de l'une... et de l'autre, dans l'albottage des légendes que je vais vous conter, car elles sortent toutes de la vigne du peuple.
Parmi les légendes viticoles, la première est très ancienne. Quelques-uns la traitent de vielle hotte où l'on a mis du raisin "à pourri blanc".
La voici: C'était vers 396... de notre ére ; le grand saint Martin était déjà "incamant, y s'grouillaitte mal", que voulez-vous, "un saint c'est n'in houmme et saint Martin c'était alors in bounhoumme". En ce temps-là, saint Martin qui avait fondé le monastère appelé plus tard Marmoutier, dit à ses "mouaines": "Il faut que vous tailliez ma vigne; - allez... et cherchez dans les écrits comment se faisait la taille au temps de Virgile et d'Hésiode..."
Et saint Martin qui avait planté devers Vouvray "n'une veugne" s'en alla un jour voir ses "planteusions". Il était "gruché su n'un âne qui montaite doucettement une rotte le long de "ceu cotiau qu'vô couneussez si bain". V'la-ti pas qu'arrivé dans les plants, il descend de "soune âne" et, s'adressant à "seux disciples", y dit: "Avez-vous trouvé coument qu'on taillaitte la veugne ?".
Les "mouaines" dirent: "Ren en tout, rain trouvé..." Et v'la-ti pas qu'à ce moment-là, l'âne, qui avait porté le saint, se mit à cabrioler et à crotteuser, puis, comme la vigne était divisée par un chemin, l'âne se prit à nactiller de ses dents tous les ceps qui étaient à droite de la rotière. Et les mouaines de courir et gambader aprés l'âne en faisant mine de lui donner des coups.
"Là, là... dit saint Martin, ne touchez pas à mon âne. Y-a-ti pas des animaux qui valent les hommes, et le seigneur n'a-t-il pas été porté par un âne deux fois: à la fuite en Egypte et à son entrée triomphale à Jérusalem ?. Laissez donc tranquille ma monture..."
Et cela fut fait... Et lors des vendanges, qui furent éberlués ?. Ce furent les moines. En effet, la vigne taillée par les vignerons de Marmoutier n'apporta que raisins minimes et "grapillards". Au contraire, les ceps aux verges broutées par l'âne montrèrent une vendange superbe, des raisins magnifiques, dignes de ceux de la Terre promise.
Voilà, dit saint Martin, ce qui prouve mes paroles, aussi je veux que l'on soigne cet âne comme le meilleur de mes bestiaux, qu'on lui présente le picotin de Noël à toute fête chômée, et à ma mort, je désire qu'on lui donne mon nom"
Et voilà aussi pourquoi, bonnes gens, depuis ce temps, dans tous les pays du monde, tous les ânes s'appellent Martin.
Saint Martin, notre grand évèque, a fait plus: il ordonna à tous les vignerons de commémorer le jour de sa fête (devenue aussi l'inoubliable fête de l'Armistice) en invitant tout vigneron tourangeau à déguster son vin blanc le 11 novembre, et cet acte se traduit encore de nos jours par la vieille expression si caractéristique de martiner le vin, c'est-à dire d'en vérifier la qualité avant les gelées d'hiver.
Ceci est une coutume encore pratiquée par les gens des côteaux de la Loire où le "piniau blanc" est toujours en grand honneur, et Vouvray est bien la capitale du "piniau de la Louerre", n'est-il pas vrai ?. Vouvray, c'est un terroir renommé au lointain des âges autant qu'à notre époque . Les Hollandais ne venaient-ils point aux ports de Loire quérir ces vins estimés, si goulayants, si délicieux, si suaves au goût, si attirants à l'oeil, si réchauffants au coeur et à l'esprit ?. Et Benoist de la Grandière, maire de Tours, n'avait-il pas songé à exporter "les Vouvray" en Amérique ? (2). Bien entendu, ces vins de Vouvray firent les délices de nos rois, de nos princes et de nos princesses qui, dans les châteaux fameux, de Chaumont et Amboise se délectaient de ces divines liqueurs.
Le petit peuple des varlets, Italiens pour la plupart, qui suivaient les cours, aimaient à venir à Vouvray et c'est là que les pages florentins mangeaient poissons salés, puis rillettes et rillons, en buvant ce qu'ils appelaient "la Vernaccia", ce vin doux, dénommé depuis "la bernache".
C'est bien la l'origine authentique de la bernache, "vernaccia specie di vino bianco generoso".
Et, serviteurs de la royale Pensée, les artistes, les poètes, les écrivains à leur tour, aiment et aimaient le Vouvray, n'est-il pas certain ?. Voici, à ce sujet, une lettre peu connue, sinon inédite, de Beaumarchais, l'auteur du Mariage de Figaro.
"A Monsieur, Monsieur Arvers, avocat, en sa maison des Verneries, à Vouvray.
"Je vous remercie, Monsieur, de la préférence que vous me donnez pour les deux quarteaux de vin. Si vous voulés les adresser tout uniment à mon adresse, j'espère qu'ils me parviendront en bon état. Je serai fort aise de vous voir à votre arrivée et si je vous suis bon à quelque chose, vous pouvés m'employer...
"J'ai l'honneur d'être très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
"DE BEAUMARCHAIS.
"Paris, ce 17 décembre 1766."
Et Monsieur d'Arvers note sur ses livres: "Les deux quarteaux de vin (sont) partis le 10 mars 1767, par le carosse de la Rochelle, conduit par le grand Marcon."
Le vouvray, le sec ou le pétillant, est toujours très apprécié dans tous les pays... Un anglais confiait un jour qu'il n'avait pu avouer son amour à sa future femme qu'après avoir bu une bouteille de Vouvray !.
Un docte américain rappelait l'an dernier qu'une ou plusieurs coupes de Vouvray l'aidaient à trouver moins haut, à New-York, son gratte-ciel administratif. Et une lettre chinois qui vint, il y a douze ans à l'Institut de Touraine, m'affirma, sous la tonnelle de M. Vavasseur, où l'on est toujours si bien reçu, que le Vouvray valait tous les vins qu'il avait bus jusqu'alors... même le vin de palmes !.
Un de nos médecins, ami du vin, a fait du reste dans le présent et dans le passé une petite enquête sur le Vouvray et les résultats d'une cure vouvrillonne. Au milieu de nombreux documents recueillis dans ce but, ce bon docteur avait souligné une "histouère" qui, comme le vin, était du cru ; et la voici, cette "histouère". Elle est bien tourangelle:
Alors le phylloxéra dévastait le vignoble. On allait à la ruine. Le curé de Vouvray, dont la vigne se mourait, elle aussi, voulant exciter ses paroissiens peu pratiquants à la prière et à la foi, avait pour une cérémonie du carême, invité le curé voisin et son chantre. Le curé voisin était celui de Parçay, Parçay où se trouve aujourd'hui le camp d'aviation. Or, le curé de Parçay était accompagné de son chantre qui, avec celui de Vouvray, pour se donner de la voix, lampèrent, peu de temps avant l'office, de fines bouteilles de 93 !.
Et quand on dût, dans l'église de Vouvray, entonner le "Parce Domine", le chantre de Parçay, par politesse, se récusa et celui de Vouvray entonna, par préséance: "Parçay Domine". Quand au chantre de Parçay, pour rendre hommage à son confrère, il entonna d'une voix puissante: "Vouvray Domine !"
Le Vouvray dominait, dans ces chantres, bien entendu !. Et il est inutile de souligner que les deux chantres avaient dans "leurs goules bain logeabes", entonné pas mal de bon Vouvray !.
Voilà une "histoire" sur le vin de Vouvray. Capus vous en aurait raconté bien d'autres, Curnonsky aussi ; Gaudissart, lui-même, se serait gaudissé à vous en ajouter quelques-unes et il peut se faire que, lors de la "fouère" gastronomique et viticole de Vouvray en 1936, entre les vingt plats merveilleux faits au Vouvray, d'autres légendes aient pu naître encore dans les caves mystérieuses où les fées vouvrillonnes tissent des toiles d'arantelles le long des bouteilles dormeuses qu'on éveille si facilement.
Le célèbre vin de Vouvray, et ceux de Montlouis, Saint-Martin-le-Beau et Saché sont ainsi transmis aux générations futures par des légendres nées aux glouglous légers de leur vin sec, ou sur la mousse ébouriffante de leurs liqueurs dorées.
Voilà donc le vin qui, liqueur de Jouvence, dans nos souvenirs et dans nos coupes s'épand !.
Saint-Avertin et Noble Joué à vos rangs !. Et vous, répondez dans vos rangs de vignes: Présents !.
Et si nous suivons l'eau de la Loire dans sa course vers la Mer Océane, nous trouvons d'autres vins qui, eux, rougissent la trogne des buveurs et réjouissent les coeurs.
L'un de ces vins aurait pu être mis en loterie, car il est toujours le "grolleau". Il nous achemine, ce "grolliau d'Cinq-Mars", vers les Restigné et les Benais, qu'on est toujours " restigné à bouère et benais", même à déguster sur le tombeau d'un Richelieu, "en ces riches lieux".
Puis voilà le chinon d'un côté, et Ligré, et Beaumont et Savigny ! et le Bourgueil de l'autre.
Le Chinon, qui ne le connait ?. On a dit qu'il avait un parfum de violette. Ah ! si elle se cache dans la cave, elle est facile à retrouver, cette violette. C'est de la Devinière... Vous connaissez tous Rabelais et tout ce qu'il a dit de Chinon, de cette petite ville au grand renom par son histoire et par ses vins. Mais où sont les caves Vaslin ?. Où sont les bonnes bouteilles enfouies à jamais sous la terre, inhumées pleines d'un jus délectable ?. Le Chinon, qui est surtout connu par Rabelais et les Rabelaisiens, a une qualité tout à fait remarquable, et il est nécessaire de la souligner.
Si certains vins rouges empâtent la bouche, ressèrent les papilles linguales et font, tel un astringent, remonter la luette, le vin de Chinon, lui, enchante nos nasales par son bouquet... de violettes fraichement cueillies. Il humecte doucement nos cloisons palatines et descend au gaster tel un fin taffetas.
Pourquoi ne point penser maintenant au vin de Bourgueil, dont l'abbaye était si célèbre que Rabelais, qui s'y connaissait, a sans douté rêvé d'y installer cette Thélème où il ferait meilleur vivre qu'en certaine patries, où l'on ne peut plus dire: "Fais ce que vouldras" ?.
Bourgueil est région riche et charmante. Que ne raconte-t-on point d'aimable sur ce pays, depuis Béroalde de Verville et après Tallemant des Réaux ?. Qui ne connait "l'Auberge du Pin" et la "divine Marie", chantée par Ronsard ?.
Et Rabelais n'eut-il pas sa maison à Graverot et Moys Amirault en pays de Bourgeuil ne vint-il pas prêcher la paix entre ses frères chrétiens ?. En ce pays sont caves de Landreau à Saint-Nicolas, de Chevrette à Bourgueil et autres caveaux où, de la calme jeunesse à la vieillesse heureuse, dort, en attendant les francs buveurs, le délicieux "Berton".
"Le plant Breton, que les vignerons du pays prononcent toujours "Berton", écrit un viticulteur du cru, M. Adrien Ory, est le cépage constitutif du vignoble de Bourgeuil et de celui de Chinon, son frère jumeau. Il devait son nom, parait-il, a un certain abbé Breton, qui vivait à l'époque de Richelieu. Mais longtemps avant cet abbé, Rabelais ne nous a-t-il point entretenus de ce "breton qui n'est point de Bretaigne", et Baudry, prieur de Bourgeuil au XII ème siècle, n'invitait -il pas ses amis à venir boire le vin de son abbaye ?".
"Les vins rouges de Bourgeuil se caractérisent, écrit M. Adrien Ory, par leur bouquet spécial, agréable, fruité et délicat, qui, bien plus que leur richesse alcoolique, en fait tout le charme et le prix. Ils dégagent, sous l'influence d'une douce chaleur (quand la bouteille est bien chambrée), un léger arôme framboise, auquel se mêle parfois, prétendent les fines bouches, un subtil parfum de violettes..." - "Ne rapporte-t-on pas, écrit encore M. Adrien Ory, qu'une Américaine, fidèle cliente d'un restaurant renommé pour ses vins, précisait, lorsqu'elle commandait une bouteille de "Berton": Apportez-moi de ce vin où il n'y a pas de mal de tête dedans !"
Or, s'il y a des vins différents par la force et par le bouquet, il y a la façon de les déguster.
Savoir boire est un art véritable. Les goinfres, ces goujats de la gastronomie et les petits becs rétrécis, ces dédaigneux du vin, perdent leur temps à avaler. Ce sont les ignorants du bien vivre.
Et au Livre quatrième de son étude: Monseigneur le Vin, Georges Montorgueil, à ce propos, rappelle l'anecdote suivante:
"On a raconté que Balzac, qui était Tourangeau, ayant invité un ami au cabaret, commanda un vieux vin au nom illustre. Son convive l'allait porter à ses lèvres quand le romancier l'arrête d'un geste impérieux et lui dit:
- Ce vin là, mon ami, on le caresse du regard.
- Et après ?
- Après, on le respire...
- Et après...
- Après... on en parle longtemps quand on l'a bu et on en parle longtemps après.
Après nous et bien longtemps après nous, on en parlera certainement de ces vins qui furent sanctifiés par Saint Martin, renommés par Rabelais, estimés de Ronsard et de Balzac, de ces Vouvray, Chinon, Bourgueil qui, d'âge en âge, réjouissent le coeur humain.
Conférence de Jacques-Marie ROUGÉ
Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire (12 Mai 1937).
(1) Saint vincent, diacre de Saragosse, martyrisé à Valence (Espagne), est, depuis des temps reculés, le patron des vignerons. Mais d'où vient ce patronage ?. On ne retrouve rien qui puisse l'établir par un acte de la vie ou du martyr du saint. Ce patronage ne viendrait-il pas du mot vin qui commence le non de Vincent ?.
(2) Jean-Edmond Weelen: Les vins de Touraine en Amérique au XVIII ème siècle. Documents manuscrits.